A propos


Quelle est l’origine du Conseil Scientifique Européen de Victimologie fondamentale et appliquée ?

par André LAURENT, Président de l’Association S0S France Victimes 67.

Il s’agit d’une volonté affirmée de l’association de se doter d’un conseil scientifique pour faire le lien entre la réalité vécue sur le terrain et les perspectives offertes par la recherche scientifique.

POURQUOI S’ENGAGER DANS EUROPE VICTIMOLOGIE (EV) ?

par Claude LIENHARD, Co-président d’EV

La création d’EV est une étape importante dans l’évolution et la structuration de la victimologie en France et au niveau européen. 

Cette création vient au bon moment.

Nous avions posé le constat et le diagnostic il y a quelque temps déjà 

Cette initiative qui se veut forte et lisible est portée par la conjonction de besoin et d’envie émanant du monde associatif ancré dans la cité, de professionnels et de scientifiques porteurs d’expertises pluridisciplinaires.

« Qu’y a-t-il de commun entre une personne agressée sur la voie publique, une famille endeuillée par un accident mortel de la route ou touchée par le handicap définitif de l’un des siens, une patiente trompée par la composition d’un médicament, un conjoint violenté, ou encore un internaute cyber escroqué ? »

Nous pourrions continuer ce triste inventaire à la Prévert par moult autres exemples tirés de la réalité des effets des délinquances dont nous pouvons attester après plus de 40 ans au service quotidien des victimes.

Ce qui fait lien, c’est que chacun et chacune, par l’acte qui vient les frapper, est institué, pour un temps au moins, comme victime d’un comportement dont notre société a législativement et politiquement décidé qu’il relevait du droit pénal, garant de valeurs fondamentales à ne pas transgresser car permettant de vivre ensemble de façon civilisée dans une société démocratique. Et c’est l’État, dans le sillage de ses fonctions régaliennes non négociables, qui doit la sécurité et la réparation si ce contrat social est violé. Le tout dans la dense ombre portée de la protection vigilante de la Cour européenne des droits de l’homme et du droit commun de l’Union européenne. Cet impératif de protection et de sécurité implique de garantir directement ou de mettre en place des mécanismes et des dispositifs ad hoc permettant d’offrir réparation aux victimes.

Le corpus qui en témoigne, c'est le droit des victimes. Au-delà du seul droit, on est dans le champ de la victimologie.

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Faire face aux risques et souffrances des victimes

Ce qui fait lien encore, c’est la notion d’ordre public de protection face à des risques connus, voire méconnus mais envisageables, qui se sont réalisés ou qui pourraient se réaliser et engendrer des dommages entraînant des préjudices de tous ordres et causant des souffrances.

La France, de longue date, a été, notamment sous l’impulsion et grâce à la vision de Robert Badinter, à l’avant-garde en ce qui concerne le droit des victimes dans toutes ses facettes et forte d’une approche victimologique de belle facture.

On y trouve de grandes lois, l’inscription des grands principes dans le titre liminaire du code de procédure pénale, la création d’un mouvement associatif d’aide aux victimes, la volonté de bientraitance par tous les acteurs impliqués, un dispositif indemnitaire de solidarité marqué du souci de réparation intégrale, et bien sûr l’accès de la victime au processus pénal.

La directive «Victimes» s’est d’ailleurs largement inspirée de certaines de nos avancées. Les gardes des Sceaux successifs n’ont jamais remis en cause le bien-fondé des choix initiaux même si l’intérêt réel pour la cause des victimes a pu être plus ou moins dense et parfois marqué par des arrière-pensées.

Pour autant, au-delà de ces constats plutôt encourageants, à bien y regarder et lorsqu’on est immergé au jour le jour dans le concret du sort des victimes, on ne peut manquer de percevoir un risque d’essoufflement, des inquiétudes et des tensions.

Vers une nouvelle dynamique

En même temps, fleurissent des propositions et des projets qui sont autant de signes que la situation est peut-être plus fragile ou plus nuancée.

Le modèle français, pour pertinent qu’il soit, reste un modèle à tout le moins perfectible et surtout à pérenniser. C’est tout l’enjeu d’une nouvelle donne qui concerne aussi bien le droit des victimes que la victimologie. »

Europe Victimologie s’inscrit dans cette filiation.

Ce qui était intuition lorsque qu’avec d’autres nous fondions l’Inavem devenu France victimes est aujourd’hui certitude 

Le pari de l’intelligence collective

En acceptant de porter avec Isabelle Ullern et tous les membres du Conseil scientifiques ce beau projet nous faisons la pari de l’intelligence collective au service d’une science qui doit être pétrie d’humanité, de rigueur mais aussi d’audace mesurée  et matinée de fulgurance, avec comme objectif, à ne jamais oublier, la bien-traitance, bienveillance et la réparation  effective et intégrale qui inclue de tenter de retisser le lien social qui fait la  belle texture de notre société et de notre république 

A nous aujourd’hui d’oeuvrer au développement et à la consolidation de la victimologie en France et en Europe dans cet aller-retour fécond entre la conceptualisation et la pratique et du terrain à la méthodologie.
 

COMMENT COMBINER PLUSIEURS APPROCHES POUR PRÉVENIR LA VIOLENCE ?

par Faouzzia SAHRAOUI, Directrice Générale de l’Association SOS Aide aux Habitants

EV envisage la victimologie comme une approche pluridisciplinaire alliant le droit, la psychologie, la médecine, la philosophie, la sociologie, et l’économie dont le seul but est d’apporter des réponses pour une meilleure prévention des actes de violence, une meilleure prise en charge des victimes de violences physiques et psychologiques, en travaillant sur les facteurs qui favorisent et influencent la violence.

Les conséquences de la violence sont multiples car elles impactent de façon négative le bien-être physique, psychologique, mental, environnemental, économique et réduisent les capacités d’agir de la victime.

Entre peine, ressentiment et réparation, la tâche civile d’ouvrir « le dialogue de conseil » au discord, au différend, à la pluralité irréductible des voix. 

par Isabelle ULLERN, Co-présidente d’EV

La mise en œuvre intellectuelle d’Europe Victimologie prolonge la réponse du courage associatif luttant contre certains découragements sociaux fatidiques.

Découragements qu’elle entend mettre au travail de la pensée, en rapports longuement mûris avec la primauté de l’action[1], de l’action associative, de l’action avec et envers le proche.

Ce sont des rapports nécessitant des questionnements élaboratifs, nous rendant ensemble capables de perfectionner la démocratie de façon interactive, d’oreille à oreille. En sollicitude au plus près mesurée.

            

Les voix de la plainte émergent du silence, de la peine, lorsqu’elles trouvent des passages, ou les forcent – pas toujours pour le meilleur. La place de la victime est avant toute chose indésirée. Quel citoyen voudrait y déchoir ?

Ceux qui cherchent à l’occuper ou la promouvoir – pour être le héros bon marché qui fait honte à la société ?, pour réduire le politique à la dénonciation ?, pour jouir d’une imaginaire impunité ou par traumatophilie insue[2] ?, qu’importe, ceux-là nous leurrent. La condition de victime est à jamais indésirable. En sortir est la seule issue vive.

[1] Voir Paul Ricœur, « L’action sensée considérée comme un texte », Du texte à l’action, Paris, Le Seuil, 1986, pp. 183-236.

[2] Voir Didier Fassin, Richard Rechtmann, L’empire du traumatisme. Enquête sur la condition de victime, Paris, Flammarion, Champs-essais, 2011

Comment ? Tapie dans l’obscurité, la voix de la victime cherche sans assurance, désespère d’abord de rencontrer jamais réponse pertinente à son adresse indicible. Ceux qui viennent l’entendre, écouter au plus près, déployer divers registres de réponse humaine et sociale (dont le droit au premier chef, qualifiant et la plainte et la peine) sont d’abord discrets d’une discrétion responsable, portés par la volonté patiente de renverser l’intolérable peine – honte, douleur, colère mêlées.

            

Commence à chaque fois le long chemin de tracer des voies pour de tels renversements dans un espace public qui, aussi constitutif soit-il de nos rapports de justice, violente l’intime. En cela, cet espace requiert stratégiquement[3] l’agir et la réflexion de concert.

Ceux qui ont créé Europe victimologie savent que ce qui revient aux associations, aux initiatives civiles ordinaires est aux sources de la politique et non l’inverse : œuvrer, édifier la socialité à partir des relations inter-individuelles, voire intersubjectives, est fondamental au politique, le plus étatique soit-il devenu. Et ceci au jour le jour, aux échelles habités de nos géographies urbaines, rurales, semi-rurales.

[3] Voir John Dewey, Le public et ses problèmes (1927), Pau, Publications de l’Université de Pau, éd. Farrago, 2004.

Or si l’association est démocratique, c’est parce qu’elle est de fait et de droit étrangère aux barrières fonctionnelles entre les citoyens qui la constituent ou y recourent. Victimes et non victimes, perpétrateur et témoins, acteurs du droit ou de tout autre spécialité, tous y sont d’abord concitoyens – et pour commencer, concitoyens de quartier en quartier. Là, l’égalité quotidienne dans le rapport au droit comme dans l’engagement pour le promouvoir ou le restaurer conditionnent et valorisent les différences individuelles infinies.  

            

Vécue, commensale, cette condition démocratique de la rencontre associative relativise peu à peu la condition de victime, affirme la primauté du juste[4] et de la justesse ; et elle permet de comprendre, pas à pas, comment ni la situation de victime ni l’asymétrie qu’elle engendre ne se substituent jamais à l’engagement paritaire et négocié face au crime de violence ou de maltraitance, qui abîme indistinctement, menaçant d’inégalité délétère profonde tout ce qu’il touche.

[4] Voir Jürgen Habermas, De l’éthique de la discussion (1991), Paris, Le Cerf, 1992.

Pour le redire, donc, d’une autre voix que celle de la victimologie, en venant à ses côtés, je dirai que la tâche commune aussi portée par la victimologie – ce discours en raison émanant de l’action d’écouter et d’accompagner -, est tout autant de concevoir méthodes, pratiques, mises en réseaux et évaluations d’impact, que de participer à élaborer en commun, de façon pluridisciplinaire, savante ou éclairée, des possibilités restauratives dans et de l’espace public – sans éviter les conflits[5].

Ceci passe par ouvrir des enclaves intermédiaires, non privées, civiles, protectrices : où la pluralité irréductible des voix – incompatibles lorsqu’il y a délit ou crime – peut se faire entendre, murmurer, protester, réclamer, consoler. À partir de cette cacophonie, jamais en deçà, le travail commence : façonner les discordances en discord audible, en différends légitimes, et, partant de là, développer les paroles des intelligences, la pluralité insondable et délicieuse de la démocratie[6]. Sans araser les différences de point de vue, sans dénier les dommages (externes, internes, collatéraux, réparables et irréparables), sans renoncer à transformer les nombreuses formes du ressentiment.

[5] Voir Georg Simmel, Le conflit (1908), Paris, Circé, 1992.

[6] Voir Alfred Schütz, Der sinnhafte Aufbau der sozialen Welt. Eine Einleitung in die verstehende Soziologie (1932), Francfort sur le Main, Suhrkamp, 1974.

En acceptant de co-porter, avec Claude Lienhard et tous les membres du conseil scientifique ce projet ambitieux, j’ai à leur instar pris l’engagement de soutenir l’effort expérimental lent de penser en commun quelles ressources concrètes – et de quelles ou quelles manières – nous permettent, ici, maintenant, de contribuer à la perfectibilité démocratique. Non pas pour prétendre bâtir une politique victimologique du moins mauvais ou du meilleur mais, plus essentiellement, pour libérer au plus local, au plus quotidien, la possibilité de tout un chacun de choisir librement, penser, parler. 

Viser ce « dialogue de conseil » est une utopie effective.

Tournons-nous vers le fondateur et l’inventeur du terme « utopie », à savoir Thomas More : on s’aperçoit aussitôt que chez ce dernier, l’utopie, loin de s’opposer à la politique, comme tend à le penser Spinoza en rabattant l’utopie sur la satire, noue des rapports complexes avec elle. Encore faut-il […] ne pas négliger le Livre I de L’Utopie – le dialogue de conseil.[…] on observe au cours du dialogue de conseil entre Raphaël Hytlodée et Thomas More le surgissement d’un élément nouveau. En effet, lorsque le voyageur-philosophe Raphaël refuse de devenir le conseiller du prince, au nom de la pureté de la philosophie, Thomas More lui réplique qu’il existe deux sortes de philosophie. L’une dogmatique, héritée de la tradition scolastique « s’imagine tenir des solutions applicables en tout lieu ». L’autre orientée vers une saisie pratique du monde, « instruite de la vie, qui connaît son théâtre, qui s’adapte à lui et qui, dans la pièce qui se joue, sait exactement son rôle et s’y tient décemment ». Miguel Abensour[7]

 

[7] Entretien avec S. Dayan-Herzbrun, A. Kupiec, N. Murard, « L’homme est un animal utopique », Mouvements 2006/3-4, pp. 71-73. (Je souligne.)