Un synode très attendu

Article d’Etienne Grieu et Monique Baujard paru dans la revue Études oct. 2021.

Le Synode sur la synodalité, dont la dernière étape aura lieu à Rome en 2023, se veut une démarche de longue durée qui doit impliquer l’ensemble des baptisés. En écho à la Lettre au peuple de Dieu de 2018, qui répondait à la crise des abus, il s’agit de penser un modèle d’Église qui écarte tout « cléricalisme ». En France, le collectif « Promesses d’Église » apporte des éléments de réflexion, en mettant en avant le thème de la fraternité et la prise en compte des personnes qui estiment ne pas avoir la parole dans l’Église.

Plan de l’article

Les 9 et 10 octobre prochains, le pape François ouvrira officiellement le Synode sur la synodalité qui démarrera au plus près du terrain, dans les diocèses, pour se poursuivre ensuite au niveau continental en 2022 avant de réunir le synode des évêques à Rome, en 2023. Dès 2015, le pape François avait indiqué que « le chemin de la synodalité est justement celui que Dieu attend de l’Église du troisième millénaire ». Dans ce discours1, le pape dessinait les grandes lignes de cette Église synodale : partant de l’égalité baptismale, il évoque une Église de l’écoute, où chacun a à apprendre des autres ; et une Église du service, où chacun se met au service de ses frères et sœurs et où personne n’est au-dessus des autres. Une façon de vivre en Église qui implique tous les membres du peuple de Dieu, sans exception.

Si le pape a déjà essayé de mettre en œuvre cette vision de l’Église à travers les différents synodes sur la famille, les jeunes et l’Amazonie, il a pris en 2018 la plume de façon exceptionnelle pour interpeller tous les baptisés et solliciter leur engagement dans la réforme de l’Église. Sa Lettre au peuple de Dieu2 intervenait dans le contexte des abus sexuels qui sont aussi des abus de pouvoir et de conscience. À la racine de ces dérives, il dénonce une « manière déviante de concevoir l’autorité en Église », désignée par le mot « cléricalisme ». L’Église synodale est ainsi appelée à la fois à combattre la dimension systémique de la crise des abus et à s’ajuster à la situation des croyants et non-croyants du troisième millénaire. Si ces deux objectifs ne sont pas sans lien entre eux, ils sont néanmoins distincts. Voilà qui place très haut les attentes autour de ce synode. Sans anticiper sur son issue, il est intéressant d’explorer les transformations que la synodalité laisse d’ores et déjà entrevoir.

Dans l’Église, tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains de l’homme recevant l’ordination sacerdotale

Synodalité et autorité en Église

La crise des abus sexuels a très sérieusement endommagé la crédibilité de l’Église et elle finit par porter une ombre sur l’Évangile lui-même. L’écart entre le dire et le faire de certains s’est révélé béant, au point de reléguer aux oubliettes l’action exemplaire de tant d’autres chrétiens. Au-delà des défaillances personnelles est apparue une dimension systémique de ces abus qui trouve sa source dans une conception exagérée et unilatérale de la hiérarchie de l’Église3. Les prêtres et les évêques, de par leur ordination sacerdotale, deviendraient des hommes à part et se situeraient au-dessus des autres en tant que détenteurs d’un « pouvoir sacré ». Il y aurait comme une scission dans le peuple de Dieu entre l’ecclesia docens (l’« Église enseignante »), les clercs qui enseignent, et l’ecclesia discens (l’« Église enseignée »), les laïcs qui, toute leur vie, resteraient des élèves besogneux. Cette conception est le résultat d’une évolution ancienne, aujourd’hui bien documentée4. Dans la configuration actuelle de l’Église, tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains de l’homme qui reçoit l’ordination sacerdotale5. Cela n’empêche pas la majorité des prêtres et des évêques d’exercer leur autorité dans un esprit évangélique. Il n’en demeure pas moins que des abus ont pu prospérer dans ce climat de prétendue supériorité. Des hommes plus fragiles ou fragilisés au cours de leur vie n’ont trouvé aucun garde-fou, ni aucune limite institutionnelle, à l’exercice de leur autorité. Ils ont pu se croire au-dessus des autres et au-dessus de la loi, encouragés en cela par une attitude d’admiration parfois malsaine de la part des laïcs6. Pourtant, il y a des chrétiens qui réfléchissent depuis longtemps à un sain exercice du pouvoir et de l’autorité dans le cadre de relations hiérarchiques.

L’expérience de « Promesses d’Église »

En France, la Lettre au peuple de Dieu du pape François a provoqué une prise de conscience parmi les associations et mouvements de fidèles qui ont formé un collectif, dénommé « Promesses d’Église ». Habitués à s’occuper du domaine spécifique qui est le leur, que ce soit la solidarité, l’éducation, l’accompagnement spirituel de tel ou tel milieu professionnel, etc., ils se sont pour la première fois penchés sur le fonctionnement de l’Église. Ils ont alors entrepris de réfléchir à la synodalité et à l’exercice de l’autorité à partir de leur expérience au sein de leurs propres organisations pour voir s’ils pouvaient apporter quelque lumière aux Églises diocésaines. À partir d’un questionnaire, les organisations membres de « Promesses d’Église » étaient invitées à passer en revue leurs modalités de gouvernance. Il s’agissait d’identifier, dans les statuts, les règles et les pratiques, ce qui favorise l’écoute réciproque, la coconstruction des savoirs, la place et la parole des plus fragiles, et ce qui l’empêche. Il leur était demandé de repérer ce qui aide à l’exercice du pouvoir comme service et ce qui, au contraire, entraîne la domination ou l’emprise. Les organisations étaient invitées, enfin, à examiner dans quelle mesure l’écoute de la parole de Dieu et de l’Esprit saint prend place ou non dans leurs décisions et dans quelles conditions particulières il était possible de « marcher ensemble ». (suite abonnés)