Quelle thérapie pour les pédophiles ?

Article de Stéphane Joulain paru dans la Revue Études oct. 2021.

Il y a une nette différence entre la perception des pédophiles par l’opinion et le regard des thérapeutes. Les considérer comme des « monstres » ne contribue pas à les aider. Qu’est-ce qui peut le faire ? Quel type d’accompagnement peut être une voie de guérison et de réintégration sociale ?

La représentation que l’on se fait volontiers des pédophiles est de les considérer comme des « monstres ». Certaines fictions accréditent cette image. Par exemple le film de Vincent Lannoo, Au nom du fils, sorti en 2012, est un bon révélateur de la violence et de la haine que l’on retrouve aussi sur internet. Derrière l’histoire se cache le fantasme inquiétant de nombreux contemporains voulant légitimer l’exécution de ces « monstres » que sont, aux yeux de l’opinion, les pédophiles et les auteurs d’agressions sexuelles sur mineurs. Si les actes que ces hommes et ces femmes ont commis sont horribles et inacceptables, il n’en reste pas moins que ce sont des êtres humains qui sont malgré tout sujets de droit. Il existe un fossé important entre la perception par l’opinion publique et celle des professionnels de la santé mentale qui travaillent auprès d’eux.

L’opinion de nombre de nos contemporains est basée à la fois sur des réactions humaines compréhensibles et sur des archétypes reproduits à travers les âges, qui ne rendent pas compte de la recherche scientifique récente. Comment faire pour essayer de réduire le fossé et permettre à ces personnes de pouvoir rester dans la société des êtres humains et d’y recevoir une psychothérapie adaptée ? Peut-on prévenir la récidive, ou mieux, éviter le premier passage à l’acte ? Ces questions n’ont pas toutes une réponse adéquate, mais il est important de clarifier notre compréhension, pour pouvoir ensuite explorer des solutions.

Des mots pour dire les maux des anormaux

En ce qui concerne la pédophilie, les mots ne viennent pas facilement et cela est révélateur de la complexité de cette réalité. Un premier terme, largement utilisé, est celui de « pédophile », littéralement « celui qui aime les enfants ». Ce mot est piégé car il ne correspond pas aux actes auxquels il fait référence, qui ne sont pas des actes « d’amour » – sauf dans la tête de certains pédophiles. Par conséquent, le mot « pédophile » est en lui-même un contresens de ce qu’il veut exprimer. De plus, toutes ces personnes ne sont pas des agresseurs d’enfants, tous ne passent pas à l’acte. Bien que le terme « pédophile » soit d’une part un terme populaire et d’autre part une classification clinique, il serait préférable de parler de « personne ayant agressé sexuellement », ou encore « d’auteur d’agression sexuelle ». Il y a là ici une différence importante, car ce que la recherche clinique nous apprend c’est que ces personnes participent encore de notre humanité, plus que nous ne voulons l’admettre. Même si les actes de la personne sont réprouvables ou écœurants et qu’ils sont justement qualifiés de déviants, la personne, elle, doit pouvoir être sujet de notre attention thérapeutique. Pour des raisons de simplicité, dans la suite de l’article, nous continuerons à parler de « pédophiles », mais le mot sera pris dans son sens clinique.

D’autres termes sont aussi employés, comme « pédérastes », ou, plus techniquement, « éphèbophile » ou « hébéphile », ou encore, « prédateur sexuel », « agresseur sexuel », « abuseur ». Un autre terme qui fut largement utilisé est celui de « pervers ». Des termes comme pervers ou perversions sont l’exemple classique de la confusion du vocabulaire qui règne sur ce domaine des paraphilies3 entre le langage populaire et le langage scientifique. Certains comportements sexuels ont été appelés en français « perversions » en opposition à l’idée qu’il existerait des comportements normatifs répondant à un ordre « naturel » de la sexualité, à savoir « exclusivement » hétérosexuel. Mais les comportements qui ne sont pas « exclusivement » hétérosexuels seraient-ils du fait même pervers ? Ce n’est évidemment pas si simple. Ce type de langage, issu du XIXe siècle, fait aujourd’hui l’objet d’une grande prudence chez les professionnels. (suite abonnés)